Publication Geoffroy BING sur Innov’ in the city.
En rupture avec des représentations bien souvent stigmatisantes dès lors que l’on aborde les questions de handicap et d’accessibilité dans la ville, il est temps aujourdh’hui de considérer le handicap sous l’angle de l’innovation. Parce qu’il pose avec singularité des questions d’usage, d’accessibilité et d’acceptabilité spécifiques, le handicap constitue non seulement une source d’innovation technique trop peu exploitée, mais aussi un prisme par lequel l’accessibilité de la ville pour tous gagnerait à être envisagée.
Le handicap comme « moteur d’innovation »
Sait-on que la télécommande TV a été conçue à l’origine à l’intention des personnes à mobilité réduite ? Les exigences des personnes handicapées en termes de facilité d’usage et d’accessibilité constituent un défi majeur pour les concepteurs de produits ou de services. En effet, ces personnes peuvent bien souvent intervenir en qualité d’expert (un aveugle développera par exemple un sens olfactif ou auditif bien supérieur à la moyenne) face à un problème donné et développer des usages pionniers des objets et des technologies (à travers le statut de lead users). Prendre en compte leurs attentes et leurs usages, c’est permettre de faire progresser le produit ou le service pour tous. C’est dans cette logique que s’inscrit aujourd’hui le concept de « Design For All » ou « Conception pour tous » selon lequel le concepteur d’un produit procède à l’intégration de spécifications propres aux personnes en perte d’autonomie dès la phase de conception initiale. Ce concept part également du principe qu’il n’existe pas d’usager moyen ou spécifique, mais une multitude d’usagers qui s’intéressent au produit pour des usages différents. A charge pour le designer de faire en sorte que son produit soit capable de répondre à l’ensemble de ces usages, ou du moins à une majorité d’entre eux, étant bien entendu qu’il ne pourra pas satisfaire toute la diversité des handicaps.
Vers une « conception pour tous » de la ville ?
C’est aussi sous cet angle que l’on peut penser l’accessibilité de la ville. La personne handicapée qui se déplace dans la ville est bien souvent confrontée à une série d’obstacles qui la contraignent à s’armer d’une multitude d’aides techniques. La « Conception de la ville pour tous » consisterait à intégrer les contraintes d’usage de personnes handicapées (prenant en compte la plus grande diversité possible de handicaps) dès la phase de conception de l’urbain, dans l’optique d’élever le niveau de qualité d’usage des aménagements au bénéfice du plus grand nombre. On voit bien comment d’un service innovant destiné à des personnes handicapées peuvent résulter des services innovants pour l’ensemble des usagers. Par exemple, le système expérimental Blueeyes de la RATP portant sur un système de guidage dans le métro pour les déficients visuels a montré également toute sa pertinence auprès d’un public de personnes âgées, de voyageurs occasionnels ou de touristes.
Soutien à la recherche appliquée sur le handicap
Cette approche questionne les politiques publiques locales en charge de l’accessibilité dans la ville à plus d’un titre. Elle prône tout d’abord une politique plus volontariste de soutien à la recherche appliquée sur le handicap, trop souvent délaissée faute de marchés suffisants. Les collectivités locales, à travers les pôles de compétitivité notamment, pourraient davantage soutenir des programmes allant dans ce sens. Par ailleurs, la voie de l’expérimentation par l’usage, sur le modèle des Living Lab, est une manière intéressante de prendre appui sur les situations de handicap dans la ville pour concevoir l’accessibilité. C’est le sens que prennent aujourd’hui des expérimentations tel que le programme PANAMMES 2009-2014 (Projets d’Aménagements Nouveaux pour améliorer l’Accessibilité des Malvoyants, Malentendants et Sourds) mis en oeuvre par la Mairie de Paris, en coopération avec l’Institut de la Vision. C’est aussi l’approche que tend à privilégier le Cluster I CARE Rhône-Alpes centré sur les technologies de la santé et de l’autonomie et qui développe aujourd’hui son projet de living lab (eCare Lab).
La ville accessible de demain sera une ville non stigmatisante, capable d’intégrer dans son environnement et dans le design de ces équipements les difficultés d’usage mises au jour par les personnes en situation de handicap, et ce au bénéfice de l’ensemble de ses habitants.
Image CC Flickr Anas Qtiesh